Jean-Luc Meyer Abbatucci
Au-delà de l’histoire personnelle qui me lie à cet artiste, je voudrais honorer le travail de Jean-Luc Meyer Abbatucci qui se distingue parmi nombreux de ses contemporains, comme étant un véritable marginal du système de production et de promotion du monde de l’art aujourd’hui. Les questions essentielles qu’il se pose de manière continuelle sont celles de l’identité, du nomadisme, de la nationalité, des frontières et leurs limites. C’est une quête qui s’enrichie au fil des années et des voyages où Jean-Luc Meyer Abbatucci part à la découverte des hommes, loin des mondanités et des cercles privilégiés des grandes villes internationales, et traverse plus de frontières, rencontre plus d’indigènes et d’autochtones, que de musées lui ont ouvert leurs portes pour une exposition.
Diplomé des Beaux Arts de Paris et doté d’une bourse de Parsons School NYC, Jean-Luc Meyer Abbatucci est né à Brazzaville au Congo en 1956 et son cv décrit simplement la liste de ses voyages et les pièces sur son parcours.
Un travail nomadique, qui naît d’une enfance en Afrique, d’un rapport à la terre, au charnel et à la nature. Il quitte l’Afrique et arrive en France en 1970 ou il se trouve brutalement déraciné à Saint Cloud en banlieue parisienne, mais il revient sur la terre de ses ancêtres avec la nonchalance et l’esprit de conteur propres à l’Afrique. Il poursuit sa rencontre des colonisés, des expatriés, des réfugiés du monde en guerre, et des tribus qui ont réussi à y survivre et restent en lutte. Son travail est plus tard stimulé par la prise de conscience des nouvelles technologies et des dérives écologiques et économiques des pays, et s’exprime par une œuvre de Land Art photographiée par la NASA en 1995. La rencontre avec Hugo Hebreard en 2001 et leur collaboration qui commence en 2005 pour former le collectif nommé Orobouros (le serpent qui se mord la queue). Se poursuit alors la dénonciation et l’action contre la pollution avec des œuvres-manifestations in situ édifiées de matériaux et bouteilles plastiques participant au nettoyage et recyclage des polluants des océans, les premières pièces sont réalisées en 2006.
Par cette exposition, Outcasts Incorporated continue de questionner les limites de l’art, la production, la collection. Le but est aussi de pousser les frontières de l’exposition d’œuvres plastiques dans le sens des engagements et des valeurs fortes qui nous motivent : ici nous présentons une sélection des travaux phares de cet artiste ainsi que ses travaux récents.
– Un répertoire nominatif et photographique issu de ses rencontres avec des réfugiés. À Lesbos, en Grèce ce mois-ci, où il se rend pour rencontrer et donner un nom à tous ces inconnus, réfugiés de la terreur mortifère et dévastatrice de ISIS. Comme on lit les noms des monuments aux morts, ici on lit les noms des survivants, avant qu’ils ne reprennent leur exode, de Lesbos vers la Turquie, alors l’Europe les repousse vers l’inconnu.
– Deux toiles, de grand format, des bâches militaires enduites de pigments, de terre, de sable et des collages de carte, issus de ses voyages au Kurdistan et au Pakistan.
– Les traces photographiques, scans et documents d’une installation éphémère dans le désert, des correspondances avec les gouvernements Jordaniens et Israéliens et ainsi que des photos prises par un astronaute de la NASA lors de la Mission COLUMBIA STS 73.
– De nombreux carnets et livres réalisés « on the road », entre l’Inde et le Népal, la Colombie, le Chili et l’Espagne, sur des livres trouvés recyclés, des pages de magazines, coupées et recollées comme en réponse aux limites de la création nomade, et des actes de surproductions et surconsommations ambiants dans la création artistique. Comme dans l’Arte Povera, tout est recyclé. Une série de livres recèlent des secrets de famille ont été plongés dans l’eau, enterrés, exposés au soleil laissant une empreinte indélébile sur une histoire à peine dissimulée, dans les tiroirs du souvenir : Le Livre Caché, Les Mots Morts, Le Livre Noyé, Le Livre sur la Plage, Les Réfugiés ont Signé, Frontier, Le Livre Brisé, No Borders, Le livre Fermé.
Par cette exposition Outcasts Incorporated tend aussi à démontrer que l’artiste n’est pas seulement celui des musées et des antichambres des institutions culturelles, mais l’homme actif et sensible qui s’exprime au travers d’un travail plastique et de vie indissociables. Ici, la forme est brutale, le fond est sensible. Nous nous interrogeons aussi sur le rôle de l’artiste contemporain dans un monde qui se déshumanise et se désintègre dans une course au statut et au pouvoir. J’aime retenir cette phrase de Bruce Nauman: « The true Artists helps the world by revealing mystical truths ». L’Artiste comme l’Homme Engagé, c’est aussi ce qui manque aujourd’hui cruellement dans l’art : des hommes, dans toute leur Humanité.
Géraldine Postel
